jeudi 20 septembre 2007

LULLABY
Vous avez certainement entendu parler des farfadets, ces petits êtres à barbiches qui vivent cachés dans nos maisons. Non? Vraiment? Voyons, vous connaissez sans doute l'histoire du cordonnier et du roi. Le cordonnier était amoureux de la fille du roi mais pour le monarque, il était hors de question de donner la chair de sa chair à un simple cordonnier. Comme il était toutefois un roi réputé pour son impartialité, il décida de lancer un défi au cordonnier : s'il réussissait à ressemeler toutes les chaussures de la Cour pour le matin de l'anniversaire de la princesse, alors, le roi accepterait de lui donner la main de sa fille. C'était bien sûr un défi impossible à relever et le cordonnier le savait mais il accepta tout de même. "Mon amour pour la princesse est bien assez fort pour braver tous les défis!" se dit-il. Alors, il travailla jour et nuit, nuit et jour, sans relâche, s'usant les doigts et les yeux vainement. Tard dans la nuit, alors qu'on entendait déjà la rumeur des préparatifs de la fête organisée par le palais pour les 18 ans de la princesse, il se rendit à l'évidence : jamais il n'aurait terminé avant l'aube. Les épaules basses et la mort dans l'âme, il s'allongea sur la paillasse qui lui servait de lit et sombra dans un sommeil profond. Mais quelques heures plus tard, alors que le soleil brillait déjà, lorsqu'il se réveilla et qu'il se leva pour aller annoncer son échec au roi, il n'en crut pas ses yeux : devant lui, alignées par paire, astiquées, reluisantes, comme neuves, s'étalaient toutes les chausses de la Cour! Il ne sut jamais qu'un farfadet, ému par le courage et l'amour de l'artisan, avait terminé l'ouvrage pendant son sommeil. On sait juste que le cordonnier se présenta à la porte du chateau et que le roi, fut contraint de lui donner sa fille en mariage. L'histoire dit même qu'il n'eut pas à le regretter et que le cordonnier sut se faire apprécier par tous grâce à sa bonté et à son sens du devoir.
On lui donne de nombreux noms mais son attitude, quant à elle, ne change jamais : il vient en aide aux hommes bons et honnêtes, qui travaillent dur par passion. En échange, il se contente d'un coin discret près du feu quand vous êtes endormis, d'un peu de crème ou de quelques biscuits. Il va et vient sans que l'on sache vraiment pourquoi et jamais il ne se montre.
Ne vous est-il jamais arrivé de trouver la lumière ou la radio allumées dans une pièce alors que vous étiez certain de les avoir éteintes? De retrouver un objet égaré dans un endroit vraiment saugrenu? De trouver une chaussette manquante d'une paire déjà rangée dans son tiroir alors qu'elle devrait sortir de la machine à laver et être encore toute humide? De chercher partout sans résultat la part de gateau au chocolat que vous vous étiez réservée? De sortir de votre sac un livre que vous étiez persuadé d'avoir laissé sur votre lit? Ah! Je vois que vous savez de quoi je parle! Et bien voilà! Vous hébergez sans doute un farfadet! Le jour où vous avez trouvé la lumière allumée, peut-être avez-vous failli le rencontrer! Oh, n'ayez pas peur, ce sont des êtres inoffensifs qui aiment donner un coup de main en toute discrétion aux hommes, rien de plus!
C'est comme cela que j'ai rencontré Lullaby. Il dit être un Domovoy, c'est le nom que lui donnent les Slaves. Il est né en Russie. On était en janvier, il faisait un froid terrible accentué par un Mistral éloquent. La nuit tombait et je préparais une soupe bien chaude pour le dîner. En bas, mon mari s'échinait comme un beau diable sur une belle armoire qu'il devait livrer sous peu et il s'inquiétait de l'échéance qui s'approchait et de l'énorme travail qu'il lui restait encore. Ce soir-là, il remonta de son atelier, un peu abattu, en disant qu'il lui faudrait appeler le lendemain le client pour lui annoncer que son armoire serait livrée avec un petit retard. Mécontent, il marmonna qu'il allait prendre une douche.
J'allai à la porte pour pousser le verrou pour la nuit et m'aperçus que la lumière était encore allumée en bas. En pestant, je m'emmitouflai dans un châle et descendis les marches qui mènent à l'atelier. Il est vrai que je ne fis sans doute pas plus de bruit qu'une souris mais alors que je m'apprêtais à appuyer mécaniquement sur l'interrupteur pour remonter bien vite, je fus saisie de stupeur en découvrant un petit bonhomme trapu qui ponçait de tout son coeur un morceau de l'armoire. Ma surprise me figea et je restai ainsi un long moment à l'observer avant de me cacher pour ne pas l'effrayer : il ne devait pas mesurer plus de 40 cm. Il portait une barbe rousse, des tâches de rousseur et un bonnet vert pomme au bout duquel pendait un pompom orange. Un instant, je crus que nos regards s'étaient croisés mais le lutin continua son ouvrage et je me dis que j'avais dû rêver. Je remontai en silence et me précipitai devant la porte de la salle-de-bain sur laquelle je tambourinai :
- Viens voir, viens voir, vite!
- Mais qu'est-ce qu'il y a? Ca ne va pas?
- Dépêche-toi! Ne fais pas de bruit! Viens voir!
Habitué à mes frasques, il se laissa prendre par la main et nous descendîmes à l'atelier. Mais je restai penaude : dans l'atelier toujours éclairé, il n'y avait plus personne! Le rabot gisait sur l'établi à côté du papier de verre, des ciseaux à bois et des morceaux de l'armoire sagement couchés eux aussi, comme après une longue journée de travail. J'eus beau détailler ce que j'avais vu, mon mari, un bon sourire aux lèvres, ne me crut pas un seul instant. Pourtant, en passant la main sur le morceau de bois que je lui indiquai, celui sur lequel j'avais trouvé le Domovoy en train de s'affairer, il admit qu'il était certainement poncé mais il haussa les épaules en disant qu'il était tellement fatigué qu'il ne se rappelait tout simplement plus de l'avoir fait. Je capitulai et nous remontâmes nous mettre au chaud dans la maison.
J'essayai à maintes reprises de surprendre à nouveau le Domovoy mais sans succès. Sans doute était-il plus vigilant à présent. Pourtant, je voyais bien qu'il était encore chez nous : les chats dressaient leurs oreilles en tournant la tête subitement vers la porte, des objets changeaient de place tout seuls, on retrouvait le four éteint quand on y avait oublié trop longtemps le rôti... Mais si sa présence était pour moi irréfutable, il était impossible de le voir.
J'appris que les esprits domestiques appréciaient la crème et le pain et je me mis en laisser une petite coupelle sur le rebord de la fenêtre. Les mets disparurent ce que mon mari mit sur le compte d'un chat errant affamé. Puis, systématiquement, je laissai dans l'assiette un petit bout de papier sur lequel j'avais griffonné : "Comment t'appelles-tu?" et un jour, j'eus la surprise de trouver au dos de mon papier en belles lettres anglaises une réponse : " Mon nom est Lullaby." Mon mari crut à une farce de gamin. Je levai les yeux au ciel devant tant d'incrédulité.
Un jour, la crème et le pain restèrent dans leur assiette. La lumière ne s'alluma plus inopinément dans l'atelier. Mon mari avait livré son armoire dans les temps, contre toute attente. Je compris que Lullaby était parti. Mais je reste attentive, on ne sait jamais, peut-être repassera-t-il par chez nous... En attendant, je continue de déposer de la crème et du pain sur le rebord de la fenêtre...

3 commentaires:

Unknown a dit…

Trés émouvant, j'en ai des frissons !!! Tant d'incrédulité! Et pourtant, les jeunes enfants sont leurs amis, on dit que ce sont des amis imaginaires, mais peut être n'imaginent t'ils pas !!! Il voit d'un coeur pur tout simplement.

Unknown a dit…

Tu as l'art de glisser, esquisser de la magie, du merveilleux dans le quotidien.

Unknown a dit…

Alors nous avons 3 personnalités...

Soleildoctobre : Qui écrit trés bien, avec émotion, magie, sérénité... et beaucoup de coeur !

Richard : Le grand analyste littéraire :P, qui lui a l'art de décrire presque techniquement ce qu'il lit ...

Et puis moi, qui écris tout simplement ce que je ressens... Maintenant, j'avoue parfois je relis afin de mieux comprendre et surtout m'imprégner de ce qui est écrit...

Gros bisous, et n'arrête pas de nous ouvrir les portes des songes et de l'imaginaire !!!