jeudi 28 février 2008

SERVICE MAGIQUE DES OBJETS TROUVES


Je ne sais pas comment je peux me débrouiller pour toujours égarer mes affaires ! « Un jour, tu oublieras ta barbe ! » me répétait sans cesse Cléia, ma petite fée, un sourire malicieux aux lèvres.
Je ne suis pourtant pas du genre tête en l’air mais je l’avoue aisément : je perds tout !
Oui, bon, d'accord, je suis peut-être un peu désordonné...
Ce jour-là, c’était le branlebas de combat : je retournais toute l’izba pour retrouver mon bonnet. Un domovoy ne pouvait pas se permettre de sortir sans son bonnet ! Pourtant, il fallait bien se rendre à l’évidence : il ne se trouvait pas à la maison.
Baltyr, mon frère, attendait, les bras croisés, adossé à la porte d’entrée, avec une petite moue désappointée. Il en avait l’habitude, bien sûr, et je le soupçonnais d’entre être profondément agacé. Il était si soigneux, si ponctuel... Finalement, il soupira et me dit : « Allons, Lullaby, il faut y aller. En revenant du marché, nous passerons au service magique des objets trouvés. Peut-être que quelqu’un a ramené ton précieux bonnet. » Maintenant que j’y pensais, Baltyr était lui aussi un domovoy et ne portait pas de bonnet !
Il nous fallut peu de temps pour vendre la crème et le pain que nous fabriquions à l’izba et Baltyr, comme promis, me conduisit au service des objets trouvés. J’étais très contrarié d’avoir égaré mon bonnet à grelot mais cela m’ennuyait un peu de me rendre dans cet endroit sur lequel on racontait des histoires inquiétantes. Je n’en dis pas un mot à mon frère et le suivis quand il s’engouffra sous le rideau ruisselant de verdure qui bouchait la sente que nous avions empruntée.
Je restai un moment médusé. L’endroit était extraordinaire et n’était comparable à aucun autre. Sous le dais sombre du feuillage s’étalaient à même le sol des tas et des tas d’objets des plus banals comme des parapluies ou des chaussures (comment pouvait-on perdre une chaussure ?) à des choses étranges que je me serais bien gardé de toucher ! Baltyr me fit signe d’avancer et nous nous approchâmes d’un petit bureau placé au beau milieu du capharnaüm. Sur le bureau, il y avait un énorme registre et une petite sonnette dorée comme celle que l’on trouve dans les grands hôtels. Derrière le bureau, un affreux petit être rabougri était juché sur une souche d’arbre.
- Bonjour, euh, hum… Je cherche, enfin, euh… J’ai perdu mon bonnet et…
Je me tus quand je me rendis compte que le gardien tout desséché n’avait pas bougé et ne semblait pas s’intéresser à nous. Baltyr sourit et me désigna une petite pancarte posée contre le bureau : « Sonnez, s’il-vous-plaît ». Je m’exécutai et pressai le bouton de la sonnette. Je m’attendais à un « dring drelin » ou quelque chose dans ce goût-là mais en fait, c’est un piaillement assourdissant qui s’éleva, pareil à une nuée de volatiles mécontents nichés dans les fourrés entourant la clairière. Le responsable ridé battit des paupières plusieurs fois, soupira longuement puis me fixa :
- Je ne suis pas sourd, inutile d’insister comme ça ! me tança-t-il d’une voix chevrotante.
- Mais je…, non, j’ai juste… tentai-je de me justifier.
- Pas la peine de me raconter des salades, jeune garçon ! me coupa le gnome.
Baltyr pouffa derrière moi et je lui lançai un regard furieux. Il haussa les épaules et pouffa de plus belle.
Je pris une profonde inspiration :
- J’ai perdu mon bonnet, un bonnet vert pomme avec un grelot jaune. Vous aurait-on rapporter quelque chose comme ça ? demandai-je.
Le gnome prit un air inspiré qui était sans doute sa manière de montrer qu’il réfléchissait. C’était effrayant.
- Attendez là, me dit-il et il s’enfonça derrière un autre rideau verdoyant. Il en revint avec quelque chose qu’il me fourra dans les mains. Voilà ! pérora-t-il, visiblement satisfait.
Je ne sais pas ce que c’était. Ma seule certitude était que cette chose gluante, verte, et informe n’était pas mon bonnet. Mais alors là, pas du tout !
- Ce n’est pas mon bonnet !
- Qui vous a dit qu’il s’agissait de votre bonnet ? C’est un ver baveur. C’est très utile.
Je lâchais sur le comptoir la chose, un peu dégoûté.
- Et peut-on savoir à quoi cela peut servir ? questionna d’un ton intéressé Baltyr qui semblait bien s’amuser.
- Oh, à des tas de choses : à nourrir les oiseaux de feu, par exemple, ils en raffolent ; à guérir le mal des marais aussi. Là, le gnome se mit à manipuler la masse gluante et à l’étirer dans tous les sens : C’est cette petite partie qu’on utilise, on en coupe un morceau qu’on fait avaler au patient. C’est radical !
Je fis un effort de volonté phénoménal pour ne pas que cette image s’inscrive trop profondément dans ma mémoire et détournai la conversation :
- Ce n’est pas ce que je cherche…
Le gnome me regarda d’un air condescendant et me fit signe de l’accompagner. Il se mit alors à déplacer des objets tout aussi inutiles à mes yeux les uns que les autres : pommes à brume - ça mouille un peu mais c’est très pratique pour se cacher les nuits de pleine lune. Rayons de soleil en boîtes - attention, c’est chaud, me dit-il en me jetant la boîte que j’évitais de justesse. Indigo d’arc-en-ciel tressé - bonne teinture mais il faut faire attention de porter des gants, sinon, vous resterez définitivement bleu. Je me rappelle de petits lutins qui ne m’ont pas écouté et qui ont pris un bain d’indigo et sont à présent tout bleus ! Soupe de confiture de navets - excellent ! Graines de coccinelles - parfait pour venir à bout des pucerons ! Machine à feuilles de sycomore - très utile après l’hiver mais une fâcheuse tendance à multiplier les feuilles à l’automne… Purée de nuages d’orage - ne secouez surtout pas, ça pourrait éclater ! Sac de sable doré - parfait pour faire un petit somme ! Couverture en duvet de souris - ça gratte un peu et puis parfois, la couverture vous grignote les pieds pendant la nuit mais on ne peut pas tout avoir ! Echarpe de coquillages - prenez garde, ça coupe…
- Je ne vois pas de bonnet vert pomme à grelot jaune, désolé.
- Mais comment pouvez-vous être certain qu’il n’est pas dans tout ce bric-à-brac ?
- En effet, en effet, consultons le registre… Alors… b… b… Bague d’écureuil… Bas d’aurore… Bave de troll… Bêche de lutin… Bijou à gratter… Bile de saule pleureur… Bob en fibre de pissenlit… Bol de pluie d’octobre… Bonjour du matin en conserves… Bottes d’écorces taille 7.5… Hum… Non, on ne m’a pas ramené de bonnet…
Baltyr examinait avec attention un œuf de caille sculpté dans lequel brillait une perle bleue.
- Ah, très bel objet, n’est-ce pas, Monsieur ?
- Est-ce que cela permet de soigner une grave maladie ? s’enquit Baltyr.
- Ca ? Le gnome éclata de rire. Non, ça, c’est juste un œuf de nog. Cette bête est assez prétentieuse pour fabriquer le plus joli œuf qui soit… Vous le voulez ? Dans 2 siècles, vous serez l’heureux propriétaire d’un griffon qui n’aura d'autre désir que de vous dévorer ! C’est très répandu chez les nogouïs… Sans compter que la mère finira bien par se rendre compte qu’elle a perdu un de ses petits et qu’elle risque de vous dévorer avant… Mais c’est un beau cadeau, prenez, je vous l’offre…
- Euh, non, merci, sans façon… dit Baltyr en reposant précautionneusement l’œuf par terre.
- Merci beaucoup d’avoir essayé de nous aider mais de toute évidence, mon bonnet n’est pas ici, nous allons donc prendre congé.
J’inclinai la tête et me dirigeai vers la sortie, suivi de mon frère.
- Dans quoi m’as-tu enferré ? demandai-je à Baltyr.
- Au service magique des objets trouvés, tu l’as bien vu ! répliqua-t-il dans un sourire chargé de sous-entendus.
C’était surtout un endroit rempli d’objets dangereux perdus, à mon avis, délibérément par leurs propriétaires ! Plus jamais je n’y mettrais les pieds ! En attendant, je n’ai toujours pas retrouvé mon bonnet…
- Je connais peut-être un autre endroit où l’on pourrait…
- Ca ira bien, coupai-je. Je m’en passerais bien. Et puis, une autre fois, je rangerais plus convenablement mes affaires ! Cela m’apprendra !
Je ne sais pas si c’était le fruit de mon imagination mais je crus voir mon frère rire sous cape…

lundi 25 février 2008

Le clan de César...

1995.
Quelle année inoubliable ! Adieu le lycée, adieu les forêts inextricables de maths et de physique ; à nous les arts, les lettres et les lois…
On s’est rencontré dans le petit hall d’entrée de la fac, sous le bras protecteur de la grande statue de César. Toi, tu suivais des cours en auditeur libre, tu travaillais déjà. Nous, nous suivions les mêmes cours et ça avait suffit à nous réunir. Le clan était déjà indissoluble, inséparable.
Nos rendez-vous étaient toujours fixés aux pieds de César qui étendait son bras impérial vers l’escalier de pierre qui menait à la bibliothèque. Son socle accueillait même parfois des post-it qui rappelaient une heure, ou un numéro de salle.
Marginaux, nous l’étions sans conteste, gentiment, sans éclat. Te rappelles-tu ? Je te revois entrer dans le hall, ôter ton chapeau et remettre tes cheveux en place en nous cherchant du regard. Joyeuse et emportée, curieuse de tout, tu tourbillonnais ta bonne humeur tout autour de nous. Moi, j’attendais l’heure du latin, ma plaie du jeudi soir avec le beau Thierry qui nous faisait toutes craquer. Le beau Thierry pour lequel tu t’étais mise à apprendre la guitare et à écouter du Mickael Bolton ! Il y avait aussi Moussa le fantasque qui nous avait bien vite quittés pour tenter sa chance dans une troupe de théâtre à Paris. Te souviens-tu de son retour et de son arrivée en costume et chapeau claque ? Quel dommage qu’on l’ait perdu de vue ! Peut-être a-t-il réussi à atteindre son rêve d’étoile… En retrait, toujours en noir, méditait le sombre William, notre Victor Hugo à nous. Méprisant et hautain mais charismatique et probablement talentueux, il restait pour nous une énigme. Porte-t-il toujours ses cheveux de jais longs ? Ecrit-il toujours de la poésie ? Je ne saurais pas le dire…
Parfois, on croisait l’autre William, l’Ivoirien, avec ses grandes théories sur les franges qui dissimulaient forcément des secrets et son bonheur de nouveau papa qu’il nous faisait partager dès qu’il le pouvait. Je passais aussi du temps avec Harby que tu connaissais peu. Il m’avait appris à zouker et il faut avouer que c’était loin d’être gagné ! C’était aussi un excellent cuisinier qui me faisait découvrir les spécialités Djiboutiennes et avec qui je parlais pendant des heures de la poésie de Rainer Maria Rilke sans me lasser. J’ai d’ailleurs gardé le livre qu’il m’avait offert, une bibliographie du poète allemand.
J’oublie certainement des étudiants… Damien, par exemple, le si brillant élève que j'admirais tant, qui se pâmait pour sa Fanfan, je crois, et qui offrait une écoute si douce quand il le fallait. Toujours souriant, les yeux pétillants, le rire franc et joyeux.
Tu te rappelles de cet anniversaire que nous avions passé dans un parc, sur un banc, et où nous avions sorti d’un sac un gâteau pour l’anniversaire de l’un d’entre nous ? Ou le mien fêté dans la cafétéria à côté de la fac ?
Ta sœur faisait aussi partie du clan mais on la voyait moins, occupée qu’elle était entre ses cours, et son travail de restauration d’antiquité où tu travaillais aussi. Je t’accompagnais quelquefois pour humer le doux parfum de la cire et du bois et vous regarder peindre et patiner.
Et puis toi… Nous étions inséparables. Tant que tout le monde nous croyait jumelles. Nous aimions les mêmes chanteurs, terminions les phrases de l’autre, gloussions dans la rue sans nous préoccuper des regards outrés des passants. Concerts ou cinéma communs, écriture de poèmes pour moi, de chansons pour toi, et confidences sur nos amours impossibles… Toi, tu fantasmais sur un garçon que tu me faisais chercher des heures à la bibliothèque, moi, je rêvais d’un étudiant en histoire dont je ne savais même pas le nom. Pour moi, cette complicité, c’était parfois un peu trop, et j’essayais de te faire comprendre mon tempérament de chat indépendant. Un jour, nous ne sommes plus entendues sur ce point et nous nous sommes échangé des mots sourds et démesurés. Nous ne nous sommes plus vues. C’était absurde. Tu m’as écrit une lettre. Je n’y ai pas répondu. Oh, ce n’est pas que je ne le voulais pas mais mes parents étaient en plein divorce et en déménageant, j’ai perdu ta lettre et ton adresse… Je ne t’ai plus croisée et je n’ai pas pu réparer…
Le temps a passé. 10 années ont ensablé nos premières années de fac, les recouvrant de conformisme, d’un travail, d’une famille… Je me demande bien ce que vous êtes tous devenus, toi spécialement, Françoise. Un jour, alors que je flânais Rue de la République, j'ai bien cru te croiser, mais le regard clair était durement fixé sur un point à l’horizon et tu étais accompagnée… J’ai hésité et, finalement, me suis dit que non, ce ne devait pas être toi… Sais-tu jouer de la guitare aujourd’hui ? As-tu trouvé ton prince charmant ? Es-tu heureuse ? Qui pourrait le dire ? Le clan s’est délité au fur et à mesure que nous nous spécialisions… et de maîtrise en école des maîtres, nous nous sommes tous perdus de vue. Moussa est peut-être devenu un comédien de talent. William a peut-être été publié. Thierry est sans doute marié. Damien aura certainement rejoint le corps enseignant et doit prodiguer la "substantifique moëlle" à des ados récalcitrants. Ta sœur a probablement réussi son concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts et enseigne à de jeunes fous de notre trempe. Les autres ont regagné leur pays, diplôme en poche…
Moi, j’ai gagné ma paix. J’ai fini par devenir prof, c’était mon but, je n’ai pas failli. Moi qui jurais mes grands-dieux que non, jamais je ne m’engagerais, je me suis mariée ! J'écris toujours mais plus de contes pour enfants que de pamphlets! Je ne passe plus mon temps libre à refaire le monde, à parler littérature ou à imaginer ma vie... Et oui, tu serais bien surprise de la petite vie tranquille et sage que j'ai adoptée!
Mais j’aimerais bien te retrouver, te dire que ce jour-là où je ne suis pas venue te rejoindre à la fac, c’est parce que j’avais raté mon bus et que, joie de la jeunesse, je n'avais pas de voiture pour te rejoindre. J’aimerais bien te dire que tu m’as beaucoup manquée et me manques encore et que j’irais bien déjeuner de quelques tapas dans notre gargote préférée… On pourrait boire un thé pour retrouver les jeunes filles fleur bleue et fantaisistes que nous étions… Peut-être bien qu’un jour… Pourquoi pas ?

Si tu passes par là, donne-moi des nouvelles…