lundi 25 février 2008

Le clan de César...

1995.
Quelle année inoubliable ! Adieu le lycée, adieu les forêts inextricables de maths et de physique ; à nous les arts, les lettres et les lois…
On s’est rencontré dans le petit hall d’entrée de la fac, sous le bras protecteur de la grande statue de César. Toi, tu suivais des cours en auditeur libre, tu travaillais déjà. Nous, nous suivions les mêmes cours et ça avait suffit à nous réunir. Le clan était déjà indissoluble, inséparable.
Nos rendez-vous étaient toujours fixés aux pieds de César qui étendait son bras impérial vers l’escalier de pierre qui menait à la bibliothèque. Son socle accueillait même parfois des post-it qui rappelaient une heure, ou un numéro de salle.
Marginaux, nous l’étions sans conteste, gentiment, sans éclat. Te rappelles-tu ? Je te revois entrer dans le hall, ôter ton chapeau et remettre tes cheveux en place en nous cherchant du regard. Joyeuse et emportée, curieuse de tout, tu tourbillonnais ta bonne humeur tout autour de nous. Moi, j’attendais l’heure du latin, ma plaie du jeudi soir avec le beau Thierry qui nous faisait toutes craquer. Le beau Thierry pour lequel tu t’étais mise à apprendre la guitare et à écouter du Mickael Bolton ! Il y avait aussi Moussa le fantasque qui nous avait bien vite quittés pour tenter sa chance dans une troupe de théâtre à Paris. Te souviens-tu de son retour et de son arrivée en costume et chapeau claque ? Quel dommage qu’on l’ait perdu de vue ! Peut-être a-t-il réussi à atteindre son rêve d’étoile… En retrait, toujours en noir, méditait le sombre William, notre Victor Hugo à nous. Méprisant et hautain mais charismatique et probablement talentueux, il restait pour nous une énigme. Porte-t-il toujours ses cheveux de jais longs ? Ecrit-il toujours de la poésie ? Je ne saurais pas le dire…
Parfois, on croisait l’autre William, l’Ivoirien, avec ses grandes théories sur les franges qui dissimulaient forcément des secrets et son bonheur de nouveau papa qu’il nous faisait partager dès qu’il le pouvait. Je passais aussi du temps avec Harby que tu connaissais peu. Il m’avait appris à zouker et il faut avouer que c’était loin d’être gagné ! C’était aussi un excellent cuisinier qui me faisait découvrir les spécialités Djiboutiennes et avec qui je parlais pendant des heures de la poésie de Rainer Maria Rilke sans me lasser. J’ai d’ailleurs gardé le livre qu’il m’avait offert, une bibliographie du poète allemand.
J’oublie certainement des étudiants… Damien, par exemple, le si brillant élève que j'admirais tant, qui se pâmait pour sa Fanfan, je crois, et qui offrait une écoute si douce quand il le fallait. Toujours souriant, les yeux pétillants, le rire franc et joyeux.
Tu te rappelles de cet anniversaire que nous avions passé dans un parc, sur un banc, et où nous avions sorti d’un sac un gâteau pour l’anniversaire de l’un d’entre nous ? Ou le mien fêté dans la cafétéria à côté de la fac ?
Ta sœur faisait aussi partie du clan mais on la voyait moins, occupée qu’elle était entre ses cours, et son travail de restauration d’antiquité où tu travaillais aussi. Je t’accompagnais quelquefois pour humer le doux parfum de la cire et du bois et vous regarder peindre et patiner.
Et puis toi… Nous étions inséparables. Tant que tout le monde nous croyait jumelles. Nous aimions les mêmes chanteurs, terminions les phrases de l’autre, gloussions dans la rue sans nous préoccuper des regards outrés des passants. Concerts ou cinéma communs, écriture de poèmes pour moi, de chansons pour toi, et confidences sur nos amours impossibles… Toi, tu fantasmais sur un garçon que tu me faisais chercher des heures à la bibliothèque, moi, je rêvais d’un étudiant en histoire dont je ne savais même pas le nom. Pour moi, cette complicité, c’était parfois un peu trop, et j’essayais de te faire comprendre mon tempérament de chat indépendant. Un jour, nous ne sommes plus entendues sur ce point et nous nous sommes échangé des mots sourds et démesurés. Nous ne nous sommes plus vues. C’était absurde. Tu m’as écrit une lettre. Je n’y ai pas répondu. Oh, ce n’est pas que je ne le voulais pas mais mes parents étaient en plein divorce et en déménageant, j’ai perdu ta lettre et ton adresse… Je ne t’ai plus croisée et je n’ai pas pu réparer…
Le temps a passé. 10 années ont ensablé nos premières années de fac, les recouvrant de conformisme, d’un travail, d’une famille… Je me demande bien ce que vous êtes tous devenus, toi spécialement, Françoise. Un jour, alors que je flânais Rue de la République, j'ai bien cru te croiser, mais le regard clair était durement fixé sur un point à l’horizon et tu étais accompagnée… J’ai hésité et, finalement, me suis dit que non, ce ne devait pas être toi… Sais-tu jouer de la guitare aujourd’hui ? As-tu trouvé ton prince charmant ? Es-tu heureuse ? Qui pourrait le dire ? Le clan s’est délité au fur et à mesure que nous nous spécialisions… et de maîtrise en école des maîtres, nous nous sommes tous perdus de vue. Moussa est peut-être devenu un comédien de talent. William a peut-être été publié. Thierry est sans doute marié. Damien aura certainement rejoint le corps enseignant et doit prodiguer la "substantifique moëlle" à des ados récalcitrants. Ta sœur a probablement réussi son concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts et enseigne à de jeunes fous de notre trempe. Les autres ont regagné leur pays, diplôme en poche…
Moi, j’ai gagné ma paix. J’ai fini par devenir prof, c’était mon but, je n’ai pas failli. Moi qui jurais mes grands-dieux que non, jamais je ne m’engagerais, je me suis mariée ! J'écris toujours mais plus de contes pour enfants que de pamphlets! Je ne passe plus mon temps libre à refaire le monde, à parler littérature ou à imaginer ma vie... Et oui, tu serais bien surprise de la petite vie tranquille et sage que j'ai adoptée!
Mais j’aimerais bien te retrouver, te dire que ce jour-là où je ne suis pas venue te rejoindre à la fac, c’est parce que j’avais raté mon bus et que, joie de la jeunesse, je n'avais pas de voiture pour te rejoindre. J’aimerais bien te dire que tu m’as beaucoup manquée et me manques encore et que j’irais bien déjeuner de quelques tapas dans notre gargote préférée… On pourrait boire un thé pour retrouver les jeunes filles fleur bleue et fantaisistes que nous étions… Peut-être bien qu’un jour… Pourquoi pas ?

Si tu passes par là, donne-moi des nouvelles…

4 commentaires:

Unknown a dit…

Touchant témoignage nostalgique. C'est bizarre, mais sous la sagesse apparente, qu'elle avoue vers la fin, il y a des détails qui montrent que la narratrice a conservé une part de celle qu'elle fut. Quelque chose comme une part d'enfance etc.
J'hésite : on dirait que tout cela est vrai, et il y a des points qui le sont, j'en suis sûr, mais je me demande quand même si tu as inventé ces personnages et ces situations ou si tu as écrit un véritable témoignage-bouteille-à-la-mer.

Soleildoctobre a dit…

Rien d'inventé pour une fois! Que du réel...

Phoebe a dit…

Va sur Facebook !
Il paraît qu'on peut y retrouver des gens ... ^^

Guilitti a dit…

ou alors sur "copains d'avant" !!