lundi 17 septembre 2007


AUTOMNE


- Chef, Chef, le jour est arrivé !
Un Esprit des bois aux longues élytres arriva en courant du fond de la forêt. Il se posta devant un énorme chêne ventru en se dandinant comme pris d’une envie pressante. Le gros chêne soupira, s’étira et un Sylphe se dégagea de son écorce rugueuse.
- Répète-moi cela plus calmement, Beäl…
- C’est le jour, Chef ! Ca a commencé ! Il faut avertir les autres !
Le Sylphe prit une respiration et se mit à murmurer des paroles que l’oreille humaine n’aurait pas pu interpréter. Mais voici ce qu’elles signifiaient à peu de choses près :
- Il est temps ! Au travail ! Le soleil s’éloigne, il nous faut parer la forêt ! Sylvides, Sylphes, Dryades, Elfes et Esprits, faites votre œuvre sans bruit et sans remous ! Que la magie opère !
Si vous aviez été un Esprit de la forêt, vous auriez senti comme une onde de choc légère sous vos pieds, comme une déformation subtile de la texture de l’air. Des changements ténus se firent et le Sylphe-Chef se mit à lancer ses ordres et à inspecter le travail de son peuple.
- Les équipes de nuit sont-elles prêtes ?
- Oui, Chef ! Elles ont pris leur poste dans les arbres et se sont mises à peindre les feuilles des arbres.
- Chef, Chef, problème, problème ! hurla un tout petit Esprit affolé aux antennes fournies.
- Je t’écoute, Mino.
- Il n’y a plus de vermillon ! On n’arrive pas à y mettre la main dessus ! Le doré, oui, le cuivré, aussi, le bronze et le pourpre aussi mais pas de trace de vermillon ! Que fait-on ? interrogea Mino en se tordant les mains.
- Et bien nous ferons sans, répondit placidement le Sylphe. Et vous me ferez venir Bëren, que je sache ce qu’il fabrique !!
- Bien Chef ! dit le petit Esprit en courant dans tous les sens.
- Et les équipes de nuit, où en sont-elles ?
- Elles sont également en place, Chef. Les Esprits des bois ont commencé à secouer les branches et les feuilles commencent à couvrir le sol !
- Bien, bien, bien… N’oubliez pas les champignons !
- Ils sont en préparation. Les Esprits les sortent de la pouponnière. Ils hurlent comme des nourrissons à qui on aurait refusé leur biberon mais tout va bien !
Et en effet, on voyait de ci de là des Esprits minuscules porter en ahanant de tout petits champignons furieux qu’ils s’échinaient à maintenir dans leurs bras avant de les replanter dans le sol humide de la forêt.
- Il me faudrait plus de pluie afin de gonfler les ruisseaux! rugit le Sylphe. Allons, Mesdames, un peu de nerf ! invectiva-t-il les Dryades.
- Mais Chef, nous ne pouvons pas faire tomber la pluie sans nuages ! s’insurgèrent-elles.
- Que les Sylphes peignent le ciel sans tarder ! tonna le Sylphe en chef.
Et les Sylphes s’exécutèrent : le ciel prit des teintes de charbon mouillé et de gris d’aquarelle, le vent se fit plus frais. Puis les Dryades entrèrent en scène : elles chantèrent la pluie et la pluie tomba, légère et calme, comme un rideau de perles étincelantes. La pluie gonfla les ruisseaux, les Dryades dansèrent, la pluie gorgea la terre de ses bienfaits et les champignons cessèrent de pleurnicher. Ils rabattirent leur chapeau sur le front et se turent.
- Bien, bien, bien, nous progressons, se félicita le Sylphe. Soudain, il s’arrêta devant un châtaignier et se renfrogna. Eh oh ! Là-haut ! Qu’est-ce que c’est que ça ? grogna-t-il en pointant du doigt une grosse citrouille orange suspendue à une branche. Et ça ? gronda-t-il en désignant une châtaigne attachée à la branche d’un noisetier. Ca ne va pas ! Ca ne va pas du tout ! Vous allez réparer tout ça sur le champ !
- Chef, Chef, ce sont les Changelins qui se sont amusés pendant que les Elfes ne les surveillaient pas…
- Envoyez-moi une équipe d’Elfes immédiatement qu’ils viennent remettre de l’ordre là-dedans !
Et alors qu’il terminait sa phrase, il surprit du coin de l’œil un Changelin en train d’attacher la queue d’un écureuil à une branche.
- Viens ici, vilain garnement !
Et avant même que le jeune Elfe polisson n’ait eu le temps de prendre ses jambes à son cou, il se retrouva suspendu par une oreille à la main d’écorce du Sylphe.
- Ca t’amuse, voyou ? Un jour comme aujourd’hui ! Va plutôt aider tes parents à réparer tes bêtises ! Gare à toi si tu ne veux pas te retrouver changé en citrouille ! menaça le Chef.
Le Changelin s’en alla en frottant son oreille pointue. Il lançait des regards noirs au Chef qui fit mine de le poursuivre ce qui eut pour résultat de le faire détaler comme un lapin. Le Sylphe en chef sourit dans sa barbe moussue en hochant la tête.
- Ah, ces jeunes ! Quelle mauvaise graine !
Il continua son inspection sans se presser, recommandant un peu plus de finesse aux fées qui cousaient des colchiques et des crocus en babillant allègrement, conseillant un peu plus de mousse dans les sous-bois.
- Vous m’avez demandé, Chef ? demanda un jeune Elfe aux yeux pâles et aux cheveux de lune.
- En effet, Bëren. Que se passe-t-il ? Où est passé le vermillon ?
- … utilisé pour les flammes de l’été, Chef… de nombreux feux de forêt cette année…
- Hum, je sais cela… C’est un vrai désastre… Est-ce que tes troupes avancent bien ?
- Oui, Chef ! Tout est bien et…
- Et les Changelins ? l’interrompit le Chef, une point de malice dans la voix.
- Les… Les Changelins ? euh… Désolé… On s’en occupe, Chef… On s’occupe de tout ! répondit Bëren, le rose aux joues.
- Très bien…
Le Sylphe en chef observa son peuple au travail. C’était à peine croyable que les humains ne les voient pas ! Quelles drôles de créatures ! Les feuilles prenaient de belles couleurs automnales et tombaient en pluie craquante sur les sentiers, l’air embaumait le sous-bois et les premiers frimas, les cosses des châtaignes jonchaient le sol et les prés se paraient du rose, du mauve et du jaune des dernières fleurs de l’année. Tout de même, l’automne leur demandait beaucoup de travail mais c’était vraiment leur chef-d’œuvre ! Il retrouva avec satisfaction son chêne : tout était bien, l’elfe avait bien raison ! Il s’adossa au tronc noueux du chêne et s’y réinstalla dans un soupir d’aise. Ah ! Quel bel automne ils préparaient !

3 commentaires:

Unknown a dit…

Je me suis cru dans la forêt, en témoin privilégié de cette scène merveilleuse, tant la narration sait comment distiller goutte à goutte ses références aux éléments de la nature, tandis que les courts dialogues ajoutent encore de la vivacité au rythme du récit.

Unknown a dit…

Je n'aime pas dire ça, mais je suis d'accord avec Richard... Témoin privilégiée de ce travail accomplit sous nos yeux!
Comme toute description, les tiennes sont calmes, stucturées, appaisantes et les dialogues rendent ton récit plus mouvementé... A quand une publication officielle de tes récit ?

Soleildoctobre a dit…

Peut-être un jour, qui sait???